Rayonnement de la pierre bleue (2019)
Mon attrait pour la «pierre bleue» m’a amené à vouloir en connaître son rayonnement. Les nombreuses croix sur les chemins de nos campagnes
m’en ont donné l’occasion.
Ainsi, il y a trois ans, avec mon frère Didier, nous les avons répertoriées
et photographiées sur quarante cinq communes, dans un rayon 40 kms autour de Nozay, plus de 1280, dénichées d’après les cartes IGN (et aussi un peu par le bouche à oreille, 10% pourraient être encore cachées
dans les ronciers).
Dans une première couronne 10 kms (Abbaretz-La Chevallerais-Derval-La Grigonnais-Jans-Marsac-sur-Don-Puceul-Saffré-Treffieux-Vay),
sur les 400, 190 sont en pierre bleue, auxquelles s’ajoutent les croix de fonte où ce matériau est majoritaire par leur socle et leur embase.
Dans la deuxième couronne 20 kms, comprenant Blain-Conquereuil-Le Gâvre-Guémené-Penfao-Guénouvry-Nôtre-Dame-de-Grâce-Issé-Joué-sur-Erdre-Lusanger-La Meilleraye-Mouais-Saint-Vincent-des-Landes
sur les 470 (dont plus de 100 à Héric), près de 100 croix de schiste ont été recensées, avec une vingtaine de croix en fonte.
A mon étonnement, la troisième couronne 30 kms et au delà, Bouvron-Chateaubriant-Erbray-Fay-de-Bretagne-Le Grand-Auverné-Louisfert-Moisdon-La-Rivière-Le petit-Auverné-Rougé-Saint-Aubin-des-Chateaux-Ruffigné-Saint-julien-de-Vouvantes-Soudan-Trans-sur-Erdre,
Comporte pas loin de 400 croix (plus de 100 à Fay-de-Bretagne), La pierre bleue est présente sur 90 d’entre elles et sur une dizaine de croix de fonte.
Cela fait plus de 350 croix dont le schiste est majoritaire (38%) et près de la moitié sont pattées (170), les plates, rectangulaires et droites, les rondes sont quasi à égalité entre
50 et 60.
Si à Nozay il représente 90%, 60% à Marsac, ce qui est normal ces communes étant des lieux d’exploitation
des carrières.
Dans la première couronne, 55% à Saffré et Treffieux, 45% à La Chevallerais, 42 à
Derval.
Lusanger a la palme pour la deuxième couronne avec 48% suivi de près d’Issé et de Saint-Vincent, Héric
28%.
Le rail, tout nouvellement installé, vers 1870, peut expliquer les 65% de Saint-Aubin, dans la troisième couronne, 48 à
Sion, 40% au petit et grand Auverné et Soudan.
Il faut cependant relativiser ces pourcentages et les ramener au nombre de croix de chaque
commune qui peut passer de 10 à plus de100..
Si les croix de Nozay sont majoritairement simples (et pourtant 14 ont un christ sculpté
sur les 42 encore existantes), elles deviennent de plus en plus travaillées et de plus en plus hautes au fur et à mesure que l’on s’éloigne. Où est la part de la foi chrétienne et l’affichage de la réussite
sociale (ou la rivalité entre familles aisées), pour ces commandes qu’un ouvrier carrier ne pouvait en aucun cas offrir aux siens..
La palme revient encore à Lusanger où les maîtres carriers de Nozay se sont «lâchés»pour montrer sur cette petite commune, pourtant bien loin des carrières, tout leur talent en la matière: hauteur,
finesse, prouesse d’assemblage, originalité, sculpture, beauté du veinage de la pierre. Tout y est, un patrimoine vraiment à conserver…
Un patrimoine qui s’est établi sur plus de 400 ans, avec l’apparition des croix dites «juliennes» taillées entre 1597 (Le Petit-Auverné) et 1650, poteaux indicateurs pour les pélerins
se rendant par milliers à Saint-Julien de Vouvantes suite à un «miracle» qui se serait produit là, et à ses fontaines guérisseuses. Beaucoup ont été victimes de la Révolution, mais par leur
construction en deux parties, un grand nombre de croisillons (qui ont pratiquement tous un christ sculpté), ont été démontés et mis à l’abri. Entre ces derniers et les croix complètes, il en reste environ
160 (dont une à Nantes et un certain nombre en Anjou et Castelbriantais).
Mais le tuffeau a détrôné la pierre bleue,
on trouve cependant de très belles croix faites entre 1810 et 1820.
Puis la Révolution Industrielle apparût avec ses premières
croix de fonte moulées, d’un prix abordable et aussi par la reprise des carrières par Jean Jacob FRANCK, constructeur de moulins, lorrain de Meurthe-et-Moselle, qui arriva à Nozay en 1861 en adaptant des machines pour le sciage et
le tournage, il fût suivi par un nantais, Aimé Julien MAURICE en 1868.
Le premier, sculpteur talentueux, décupla sa production
pour la production, entre autres, de dizaines de milliers de «cubes» formant les entourages des portes et fenêtres, les arêtiers des maisonnettes pour les garde-barrières de la ligne de chemin de fer, alors en construction.
.Ces moellons furent désormais partout (nouvelles églises, maisons) et entrèrent aussi dans la construction des socles des croix.
Les maîtres-carriers eurent leurs heures de gloire entre 1870 et 1900 (les plus belles croix sont de cette époque). La première guerre
mondiale stoppa la production qui reprit un peu après par l’édification de croix de reconnaissance de retour de guerre.
Mais
toutes les possibilités qu’offrent désormais le ciment et le béton, à moindre coût, furent fatales à la pierre bleue, quelques unes furent encore taillées pendant la deuxième guerre, et en ce qui
concerne Nozay, la dernière fût le Calvaire de Créviac (aussi de reconnaissance) Ce n’est que du Fréour, le top du top, excusez du peu (érigé à l’origine sur la route Nantes/Rennes, déplacé
dans la propriété lors de la déviation de la ville..
Au plus fort des exploitations, les carrières employaient
près de 200 personnes, ce qui est peu par rapport à tout ce qui en est sorti. Un accident mortel en 1891 (il y en eût peut-être d’autres). J’ai un immense respect pour ces tailleurs (souvent d’anciens ouvriers agricoles),
Ils en ont sué et éreinté pour donner le meilleur à cette pierre. Rien que pour cela, ce petit patrimoine se doit d’être préservé.
José
Teffo