Les croix dites « juliennes »
Extraits du texte d'un article de la revue Tiez-Breizh N°34 de 2015
Auteurs : Gilbert Massard avec la collaboration de Christophe Derbré
Pour illustrer le texte les photos sont ici de José Teffo sauf mention particulière
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Les
croix dites « juliennes »
Extraits
du texte d'un article de la revue Tiez-Breizh N°34 de 2015
Auteurs :
Gilbert Massard avec la collaboration de Christophe Derbré
Pour
illustrer le texte les photos sont ici de José Teffo sauf mention
particulière.
Ce
modèle de croix typique de la région de Châteaubriant n'a
semble-t-il fait l'objet d'aucune étude complète.
Nous
vous proposons ci-dessous une enquête faite par l'abbé Trochu,
aumônier de la maison hospitalière de Riaillé, communiquée en
février 1985, et complétée par ses notes manuscrites déposées
aux Archives Diocésaines de Nantes.
[…]
On attribue très souvent cette dénomination à toutes sortes de
croix. Il semble donc intéressant d'essayer de rassembler les
éléments de recherche sur ce sujet en précisant d'emblée qu'il ne
peut s'agir d'une étude exhaustive, mais plutôt d'une invitation
lancée aux amoureux des croix, de partir à la découverte de ce
petit patrimoine oublié.
« Caractéristiques
: Long fût assez mince, taillé parfois en une seule pièce de
pierre d’ardoise, le plus souvent en deux pièces. Petit
croisillon, simple ou orné au milieu duquel on voit le plus souvent
un petit christ en relief ou simplement gravé.
C’était
des croix placées au croisement des chemins principaux menant à St
Julien-de-Vouvantes, lieu de pèlerinage très ancien et populaire.
En
ce lieu nommé Voant ou Vouant (origine inconnue) les moines de St
Florent-le-Vieil avait fondé un prieuré-paroisse, dédié à St
Julien-de-Brioude, soldat martyr mort en 304.
Dès
le haut Moyen âge, il y avait là un pèlerinage, où l’on venait
de tous les alentours (Bretagne, Anjou, Normandie), pèlerinage
surtout populaire, mais aussi attirant de hauts personnages comme
certains Ducs de Bretagne.
Plus
tard, en 1650 ou peut-être avant, un fait regardé comme un miracle
attribué à l’intercession de St Julien, attira à Vouvantes, une
affluence considérable de pèlerins bretons vannetais.
Un
convoi de galériens en route vers le port de Brest, s’arrêta à
Vouvantes. L’un de ces condamnés demanda la protection de St
Julien et aussitôt ses chaînes tombèrent et on ne put jamais les
lui remettre. Il semble que le retentissement fut plus grand dans les
paroisses situées entre la Vilaine et Vannes ou Auray, car ce sont
eux qui organisèrent ces pèlerinages fleuves vers St Julien en deux
périodes de l'année, le premier pardon était célébré le 28
août, fête du saint et le 14 septembre.
C’était
une marche à pied de 120 km de moyenne pour des groupes de 1200 à
1500 bretons vannetais. Il fallait prévoir le ravitaillement et les
haltes du soir. Tout le long du parcours, il y avait des croix qui
balisaient le chemin que l’on a ainsi nommées « Croix
juliennes ».
Pendant
les années de la Révolution, il y eut un abattage systématique de
toutes les croix. Ce ne fut pas toujours facile, car la population
locale défendait ses croix. En général, les municipalités ne
tenait guère à confier cette besogne à la police locale, par
crainte des représailles. On faisait appel aux patrouilles de
l'armée En certains endroits, les croix furent démontées et
cachées pour être relevées après 1800 et la pacification.
Actuellement, on retrouve de ces croix, bien que le pèlerinage de St
Julien ait été réduit à peu de choses. »
Abbé
Trochu
Sur
les pèlerinages
La
Zone géographique concernée par la présente étude, située aux
limites de trois provinces, est au carrefour de nombreux chemins de
pèlerinage. […] [notamment] celui de St Julien, où les pèlerins
venaient principalement de Basse-Bretagne (de l'évêché de Vannes,
de Rochefort et même de Carnac), puis des paroisses bretonnes
voisines, d'Anjou, du Maine et de Normandie. […].
Le
pèlerinage remonte sans doute au Haut-Moyen-Age et a connu une
grande renommée jusqu'à son apogée au XVIIIe siècle, avec une
fréquentation supérieure à 10 000 personnes. Au XIe siècle,
durant la période des grands défrichements, les moines de l'abbaye
de St Florent-le-Vieil édifièrent une chapelle dédiée à St
Julien le martyr.
Le
Duc Jean V, qui finança l'érection de l'église primitive de
Vouvantes, vint implorer le saint en 1425, puis en 1428. […].
Le
pèlerinage est le témoignage d'un culte de fertilité agraire
relevant de la religion populaire et rurale en particulier,
accompagné de rites thérapiques. Le premier consistait en
l'immersion dans la fontaine éponyme (jadis triple, elle rendait la
vue aux aveugles, guérissait des fièvres et enlevait les
rhumatismes), et le second à se passer au cou un collier de fer fixé
à une chaîne scellée à un pilier de l'église. Cet ex-voto
est en lien avec le miracle d'un galérien.
St-Julien-de-Vouvantes
était aussi jadis un lieu d'étape sur la route des galères de
Brest à Toulon : de quelques dizaines par an, le nombre des
galériens crût jusqu'à plus de 400 sous Louis XV lors de deux
passages annuels.
La
légende dit qu'au XVe siècle, l'un d'entre eux ayant prié avec une
grande ferveur le saint de lui accorder le pardon, aurait vu ses
chaînes tomber à trois reprises.
Le
28, jour de la St Julien et tous les dimanches jusqu'à la fin de
l'automne, les pèlerins apportaient des boisseaux de grains qu'ils
vidaient dans des tonneaux placés à côté de la statue du saint,
puis reprenaient une poignée d'autres grains fournis par le recteur
qu'ils mêlaient de retour chez eux à leur semence afin de la faire
fructifier. Cela s'effectuait dans un rituel symbolique bien précis :
le pèlerin attachait un sac contenant le grain à son bâton sur
lequel il mettait son chapeau ; il frottait ensuite la statue du
saint de son long plusieurs fois de son sac et de son chapeau, en
insistant sur le contact entre son couvre-chef et le casque du saint.
[…]
Les
caractéristiques des croix « juliennes »
Croix
de schiste, le plus souvent en deux parties, de section octogonale.
Le fût, d'une hauteur moyenne de 2,5 m peut atteindre plus de 4 m
(Vergonnes).
En
raison du matériau et de son ancienneté, beaucoup de ces croix
fragilisées sont cerclées de ferrures (St-Michel-et-Chanveaux,
Jans, St Aubin-des-Châteaux)
la
base du fût quand elle est carrée, est souvent ouvragée –
torsades, moulures -(Issé, Nozay) et comporte une partie blasonnée
(Rochementru en Le Pin) portant motif héraldique (Vieux-bourg à St
Sulpice-des-Landes, Villechoux à Grand-Auverné) date (16 à ce
jour) et date de restauration (Cimbrée à St-Julien-de-Vouvantes, La
Haute-Riverais à Grand-Auverné) et inscription gravée (croix du
Champ Renaud à Issé).
A
St-Germain en Vay, on observe, gravé sur le fût, un beau cadran
solaire.
Les
croisillons portent le plus souvent un christ sculpté, la
représentation est très sommaire : simple ovale pour le
visage, bras démesurés et mains évasées, côtes saillantes,
jambes longues et raides, pied dégrossis. Le titulus est large et
épais avec gravé l'inscription INRI […]
Le
titulus peut-être muet ou fortement érodé. […]
On
explique la simplicité de la représentation du Christ par le fait,
qu'il s'agit de tailleurs de pierre, et non de sculpteurs comme on
peut le voir sur des croix historiées ou sur les grands calvaires
bretons.
On
rencontre encore quelques socles d'origine montés en belles pierres
de schiste (Issé, Le Pin, Nozay, Puceul). […]
La
Datation.
Un
premier relevé de ces croix nous apporte de précieux
renseignements, on constate que sur 43 croix recensées, 16 sont
datées et authentifiées. […]. On n’a d'ailleurs pas trouvé, à
ce jour, de croix datées postérieures à 1659.
Il
ne semble pas non plus qu'aux XVIIIe et XIXe siècles des croix de ce
type aient été fabriquées. […]
Une
étonnante ressemblance.
Il
n'est pas question ici de reprendre toutes les caractéristiques de
ce type de croix, aussi nous nous limiterons à quatre détails pour
montrer l'étrange similitude de ces trois croisillons dont tout
indique qu’ils sont sortis du même atelier.
Le
titulus est large et épais, l'inscription est incomplète à
Combrée, absente à Petit-Auverné et illisible à
St-Michel-et-Chanveaux.
Les
mains sont larges, les doigts nettement marqués, la marque de la
crucifixion est identique dans les trois cas et ne se retrouve pas
sur d'autres croix.
Le
périzonium n'est pas ici qu'un simple pagne, mais plutôt une courte
culotte. Les pieds sont longs et déformés, pied droit sur gauche,
ce qui est toujours le cas sur les croix observées. […]
Conclusions
On
l'aura bien compris, ce modeste article ne peut être que l'ébauche
d'une étude plus poussée sur ce type particulier de croix, dont la
concentration géographique est située au nord du département de
Loire-Atlantique, avec seulement quelques exemplaires en
Ille-et-Vilaine et Maine-et-Loire.
Malgré
une destruction systématique et à grande échelle, il est légitime
de penser que des exemplaires sont encore à découvrir. Il serait
intéressant de recueillir toutes les informations pouvant compléter
utilement ce premier relevé afin de définir l'importance et
l'influence de ces croix de schiste dans l'immense production de ce
petit patrimoine. Toutes les contributions seront les bienvenues et
reçues avec gratitude.
L’intégralité
de cet article de 9 pages est disponible auprès de :
http://www.tiez-breiz.bzh/
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