Patrimoine du Pays du Schiste bleu

44 : Nozay à la croisée des mondes François Aubrée

Pour une histoire de Nozay à la croisée des mondes

Introduction : une envie de raconter des histoires déracinées :

Ils se prénomment Uranie, Jeremiah, Colette, Gabriel, Ovoimes, Néroslad, Venancio, se nomment BOLEWSKI, McSWEENEY, O'RIORDAN, sont nés dans l'empire d'Autriche-Hongrie, en Pologne, en Norvège, en Afrique, à St-Domingue, sur l'île Bourbon, sont de confession juive, protestante, musulmane, sont propriétaires, réfugiés, investisseurs. Leurs parcours individuels de migrants les ont, un jour, amené dans le petit territoire nozéen1.

D'autres s'appellent MARION, HOUSSAIS, BESNARD, BIDAUD, BOUTIN et sont natifs des 10 communes de notre étude. Ces « indigènes » nozéens sont des hommes et des femmes, missionnaires, soldats, déportés, colons qui se sont expatriés. Leurs expériences vécues dans les mondes lointains entretiennent un imaginaire partagé par leurs familles restées au « pays ».

Des individus dont l'histoire n'a pas retenu le nom, mais dont les vies ont participé à la fabrique du territoire nozéen. Certains ont connu la traite, d'autres l'exil politique. Les espèces végétales et animales, les maladies et les pandémies participent aussi de cet échange planétaire entre Nozay et le monde.

Dès lors, ne peut-on pas suggérer que Nozay est un lieu global, à la croisée des mondes ? Ne peut-on pas tenter une histoire « glocale » ? Est-il possible d'écrire l'histoire des environs de Nozay grâce à des histoires d'ailleurs ?

Une telle hypothèse peut surprendre car Nozay n'est pas un port maritime, ni fluvial, n'est pas localisé près d'une frontière terrestre, où les flux d'hommes, de marchandises et d'idées sont massifs et quotidiens. Nozay est une ville agricole de l'Ouest intérieur français, à la pointe de la péninsule eurasiatique, dans un espace réputé pour être un cul-de-sac depuis les temps les plus anciens. Ce n'est pas un foyer historique d'immigration. Les céréales de la révolution néolithique n'atteignent le finistère européen qu'en 4800 ans avant J-C, soit 4000 ans après leur « invention » au Moyen-Orient.

Mais Nozay reçoit l'influence de l'Océan Atlantique par sa situation dans l'hinterland nantais, par la présence ancienne de familles de négociants et d'armateurs. Nozay est une ville-étape sur la Route royale, puis impériale de St-Malo à Bordeaux, aujourd'hui RN 137. En réalité, c'est un bout du monde qui favorise aussi les mélanges, l'étranger est finalement proche, l'infiltration y est douce et limitée.

Evidemment, cette ouverture au monde n'est pas une rupture historique, les connexions et les liens avec l'ailleurs remontent aux temps lointains. Le torque en or découvert au village du Bé en 1878 datant de -1000 ans prouve la présence du peuple celte dans la région. Or les Celtes ont « migré » au VIIIème siècle avant J-C, depuis leur Bohême, où se trouvent les épicentres de leur culture (La Tène et Hallstatt). L'Espagnol ROCAZ possède des terres à Nozay au XVème siècle. Mais nous pensons qu'entre 1750 et 1950, le monde est plus ouvert à la circulation des hommes, de l'argent et des marchandises grâce aux progrès technologiques de la seconde mondialisation. Pas de rupture donc, mais une accélération des interactions Nozay-monde grâce à l'amélioration du réseau routier et postal, aux nouveaux moyens de communication de masse. Le déplacement au long cours fait désormais partie du champ des possibles pour des acteurs isolés ou collectifs. Contrairement à une idée reçue qui laisse entendre que la France pré-industrielle est une nation constituée de petits pays agraires cloisonnés et très nombreux, le monde rural de l'Ouest est ouvert sur le monde.

Mais pourquoi raconter ces histoires personnelles, ces morceaux de vie d'illustres inconnus ? Va-t-on réécrire l'histoire nozéenne ?

Tout d'abord, c'est une tendance actuelle de la recherche en sciences sociales : faire de l'histoire par en bas, inviter à décentrer notre regard, s'intéresser aux vies minuscules des femmes et hommes « sans nom ». Ivan JABLONKA, dans son enquête sur ses grands-parents paternels, ne dit pas autre chose : « Nos histoires de famille et ce qu'on appelle pompeusement l'Histoire, c'est la même chose. Il n'y a pas d'un côté les grands de ce monde et, de l'autre, le ressac de la vie quotidienne, les larmes anonymes, les inconnus dont le nom rouille au bas d'un monument aux morts ou d'un quelconque cimetière de campagne. Faire de l'histoire, c'est prêter l'oreille à la palpitation du silence2 ». Les recherches récentes en histoire des migrations réévaluent les retours, la capacité d'agir des migrants, le projet migratoire, on parle plus volontiers de mobilités. Ecrire une « histoire mondiale de Nozay » ne doit pas être un prétexte à l'histoire globale. Les allers et retours entre la grande et la petite échelle sont indispensables. L'historien Timothy BROOK nous y invite. Selon lui, on ne peut faire de l'histoire globale, si l'on n'est pas avant tout un historien local. Tout l'enjeu est de connecter le local au global, de naviguer sans cesse entre ces deux niveaux d'analyse qui s'éclairent réciproquement. C'est ce qu'on appelle la « micro-histoire globale ». Une bonne histoire globale est une histoire locale ouverte sur le monde. On découvre alors de nouvelles chronologies, des connexions jusqu'alors inaperçues. Plus encore, l'histoire globale peut corriger les erreurs auxquelles nous a conduits l'histoire nationale, souvent instrumentalisée par le politique. Là où l'histoire nationale dresse des murs, l'histoire globale doit chercher partout les portes, les couloirs qui connectent le monde entier en le rendant plus complexe et plus intéressant. C'est donc un instrument pédagogique.

Produire des typologies comme l'a longtemps fait le chercheur en histoire économique ou sociale permet de comprendre des phénomènes massifs mais ce travail est toujours destructeur de singularités. Alain CORBIN a pris le contre-pied de cette démarche dans son livre Le monde retrouvé de Louis-François PINAGOT : sur les traces d’un inconnu, 1798-1876. Nous pensons comme lui qu'il existe des temps de rencontre sociale, à l'occasion du marché, de la foire, des fiançailles, des comices ou à l'intérieur de l'auberge, mais qui, malheureusement, n'ont laissé aucune archive écrite. Bien sûr, il ne s'est sans doute agi que d'un simple croisement entre un Nozéen et « l'autre », mais la perception et le regard de nos deux protagonistes ont pu être modifié dans leur rapport à l'autre. Allons plus loin. Ne peut-on pas dire que, dans les campagnes de l'Ouest, le sentiment d'appartenance à la nation française se construit peut-être aussi grâce aux contacts avec les acteurs étrangers ?

En géographie, tout le monde s'accorde aujourd'hui pour dire que l'espace n'est pas constitué que de lieux, c'est aussi des liens, du réseau. D'autre part, l'échelle nationale a été particulièrement plébiscitée pour les recherches en histoire économique, car elle a déterminé la collecte de statistiques sur la production, la consommation, les exportations, etc... L'échelle locale et l'échelle mondiale doivent être réévaluées.

C'est aussi un moyen de bousculer les grandes dates du « roman local nozéen » qui aurait forgé son identité. La geste nozéenne s'est construite autour de quelques dates fondatrices, telles que l'année 1118 quand est fondé le prieuré par les moines de St-Florent-le-Vieil, le moment Jean DE LAVAL-Françoise DE FOIX, un temps seigneurs de Nozay, la nuit que la duchesse ANNE de Bretagne a passée au Grand Monarque, le passage de FRANCOIS Ier et de sa cour du 25 juin au 5 juillet 1532 à la Ville-au-Chef, le séjour de Sigisbert HUGO vers 1794-99, la fondation de la ferme-école de Grand-Jouan en 1830, la grande époque de l'extraction de la pierre bleue, l'exécution de l'instituteur Marcel VIAUD en février 1942, etc... Vous allez voir qu'il n'y a pas de coupure entre nos histoires de famille et ce qu'on imagine être l'Histoire. Le jeu d'acteurs moins connus permet de redonner de la complexité à des réalités locales souvent trop simplifiées. D'autres l'ont fait avant nous avec succès. Jean BOUTEILLER affirme avec justesse que « le pouls nozéen vit à l'heure des grands moments de la nation3 ». Il pense aussi, comme nous, que suivre le destin d'acteurs discrets qui ont fait Nozay offre un accès à une réalité beaucoup plus complexe du passé, loin des structures pesantes et englobantes.

Cependant, notre travail présente des limites, qui sont propres à toute recherche historique : l'histoire est connaissance du passé par traces. Or, il existe peu de traces des sans-noms. A défaut d'avoir le talent d'Alain CORBIN, nous allons quand même relever le défi. Nous devons l'admettre, le propre de l'historien est aussi d'avoir recours à son imagination et à son intuition.

Asseyez-vous confortablement dans votre siège, nous allons vous proposer un petit rafraîchissement historique de notre « pays », un film en famille avec des acteurs venus du monde entier.

1Notre terrain d'étude englobe les huit communes de l'ancien canton de Nozay, remplacé par la communauté de communes de Nozay depuis 2014, et Jans et Marsac qui sont des communes limitrophes.

2Ivan JABLONKA, Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus, 2012.

3Jean BOUTEILLER, Chronique de la Révolution à Nozay, 1789-1800, 2006.

Histoire en Loire-Atlantique : Nozay 44 à la croisée des mondes par François AUBREE, un Nozéen.

Histoire en Loire-Atlantique : Nozay à la croisée des mondes par François Aubrée, un Nozéen.
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