Cet Album fait suite à l'inventaire des croix de chemin du Pays de Châteaubriant (1440 croix recensées) réalisé en 2016-2017.
Plus d'infos sur l'inventaire des croix du Pays du Schiste réalisé en 2016-2017 : Inventaire des Croix - www.tresorsdupaysdechateaubriant.fr
Après avoir restauré les croix de Vay, où je réside, il était un peu normal que je revienne sur mes terres (et qui ont été aussi celles de mon père).
Si ces dernières se sont livrées à confidence, à Nozay les 40 croix que j’ai restaurées (ou simplement nettoyées), sur les 43 encore existantes (il y en eut près de 60), ont été bien peu bavardes; Comme les ouvriers carriers qui les ont taillées, sur commande, ou peut-être dans leurs rares moments de détente. Aussi simples et aussi humbles qu’eux. Bien peu m’ont donné leur nom et encore moins leur âge…
Pourtant des mains bien calleuses ont donné naissance à des originalités comme des étoiles à cinq branches (La Haute-Roche), des cœurs à la place de trèfles (Le Pont-d’Inde), et elles ont essayé de tirer au mieux le portrait d’un christ, indépendamment de leur croyance (14 au total sur 42).
Les croix «pattées» sont majoritaires, peut-être à la mode en cette fin du 19e, sans doute d’un bon rapport qualité/prix avec la «mécanisation» que l’un des «maîtres-carriers» Jean Jacob FRANCK avait amené dans ses bagages quand il est venu de sa Lorraine natale en 1861, pour redynamiser les activités des carrières de Nozay.
Je les ai restaurées à minima pour qu’elles restent dans l’esprit de leur créateur, juste leur redonner leur teint de jeune fille, (en respectant le protocole des travaux fixé avec leurs propriétaires). J’ai aussi employé des matériaux modernes comme l’inox (pour sa solidité, sa finesse, sa discrétion) pour une grande blessée de la circulation.
Je n’ai restauré pratiquement que des croix de pierre bleue, puisqu’elles sont largement majoritaires à Nozay (et pour cause) avec des chouchou comme la croix Huet ou la croix du Châtelet (mais aussi celle de fonte de La Houizière).Dans l’ensemble, elles sont bien simples (La Colle, croix Colas), certaines peut-être à la demande directe des familles, aux ouvriers des maîtres-carriers, mais combien majestueuses quand la commande a été passée auprès du patron (croix du Parc, du cimetière, de mission du Coudray) pour afficher puissance ou notoriété.
J’ai découvert que le «maître-graffeur» ayant tagué une bonne dizaine de croix à Vay, tant qu’à l’ouest qu’à l’est, avait aussi sévi à Nozay; Avec la pointe de son couteau et d’un poinçon, j’ai retrouvé les mêmes marelles, les mêmes croix, les mêmes cœurs de Vendée. Ses coups de poinçon l’ont trahi et m’ont permis de dater ses forfaits, (et par de-là -même, les croix, autour de 1887).
J’aimerais mon entreprise la plus pérenne possible, pour ce petit patrimoine, qui va bien au-delà de son caractère religieux et que la pierre bleue a rendu quasi unique. Alors encore longue vie à la doyenne (la croix de Ligou, dite julienne, taillée peu après 1600) et aux autres…
Par ailleurs, j’adresse un grand merci aux services techniques de la Municipalité et aux riverains, pour leur assistance ponctuelle en matériaux, matériels et…courant électrique.
José Teffo
Rayonnement de la pierre bleue (2019)
Mon attrait pour la «pierre bleue» m’a amené à vouloir en connaître son rayonnement. Les nombreuses croix sur les chemins de nos campagnes m’en ont donné l’occasion.
Ainsi, il y a trois ans, avec mon frère Didier, nous les avons répertoriées et photographiées sur quarante cinq communes, dans un rayon 40 kms autour de Nozay, plus de 1280, dénichées d’après les cartes IGN (et aussi un peu par le bouche à oreille, 10% pourraient être encore cachées dans les ronciers).
Dans une première couronne 10 kms (Abbaretz-La Chevallerais-Derval-La Grigonnais-Jans-Marsac-sur-Don-Puceul-Saffré-Treffieux-Vay), sur les 400, 190 sont en pierre bleue, auxquelles s’ajoutent les croix de fonte où ce matériau est majoritaire par leur socle et leur embase.
Dans la deuxième couronne 20 kms, comprenant Blain-Conquereuil-Le Gâvre-Guémené-Penfao-Guénouvry-Nôtre-Dame-de-Grâce-Issé-Joué-sur-Erdre-Lusanger-La Meilleraye-Mouais-Saint-Vincent-des-Landes sur les 470 (dont plus de 100 à Héric), près de 100 croix de schiste ont été recensées, avec une vingtaine de croix en fonte.
A mon étonnement, la troisième couronne 30 kms et au delà, Bouvron-Chateaubriant-Erbray-Fay-de-Bretagne-Le Grand-Auverné-Louisfert-Moisdon-La-Rivière-Le petit-Auverné-Rougé-Saint-Aubin-des-Chateaux-Ruffigné-Saint-julien-de-Vouvantes-Soudan-Trans-sur-Erdre, Comporte pas loin de 400 croix (plus de 100 à Fay-de-Bretagne), La pierre bleue est présente sur 90 d’entre elles et sur une dizaine de croix de fonte.
Cela fait plus de 350 croix dont le schiste est majoritaire (38%) et près de la moitié sont pattées (170), les plates, rectangulaires et droites, les rondes sont quasi à égalité entre 50 et 60.
Si à Nozay il représente 90%, 60% à Marsac, ce qui est normal ces communes étant des lieux d’exploitation des carrières.
Dans la première couronne, 55% à Saffré et Treffieux, 45% à La Chevallerais, 42 à Derval.
Lusanger a la palme pour la deuxième couronne avec 48% suivi de près d’Issé et de Saint-Vincent, Héric 28%.
Le rail, tout nouvellement installé, vers 1870, peut expliquer les 65% de Saint-Aubin, dans la troisième couronne, 48 à Sion, 40% au petit et grand Auverné et Soudan.
Il faut cependant relativiser ces pourcentages et les ramener au nombre de croix de chaque commune qui peut passer de 10 à plus de100..
Si les croix de Nozay sont majoritairement simples (et pourtant 14 ont un christ sculpté sur les 42 encore existantes), elles deviennent de plus en plus travaillées et de plus en plus hautes au fur et à mesure que l’on s’éloigne. Où est la part de la foi chrétienne et l’affichage de la réussite sociale (ou la rivalité entre familles aisées), pour ces commandes qu’un ouvrier carrier ne pouvait en aucun cas offrir aux siens..
La palme revient encore à Lusanger où les maîtres carriers de Nozay se sont «lâchés»pour montrer sur cette petite commune, pourtant bien loin des carrières, tout leur talent en la matière: hauteur, finesse, prouesse d’assemblage, originalité, sculpture, beauté du veinage de la pierre. Tout y est, un patrimoine vraiment à conserver…
Un patrimoine qui s’est établi sur plus de 400 ans, avec l’apparition des croix dites «juliennes» taillées entre 1597 (Le Petit-Auverné) et 1650, poteaux indicateurs pour les pélerins se rendant par milliers à Saint-Julien de Vouvantes suite à un «miracle» qui se serait produit là, et à ses fontaines guérisseuses. Beaucoup ont été victimes de la Révolution, mais par leur construction en deux parties, un grand nombre de croisillons (qui ont pratiquement tous un christ sculpté), ont été démontés et mis à l’abri. Entre ces derniers et les croix complètes, il en reste environ 160 (dont une à Nantes et un certain nombre en Anjou et Castelbriantais).
Mais le tuffeau a détrôné la pierre bleue, on trouve cependant de très belles croix faites entre 1810 et 1820.
Puis la Révolution Industrielle apparût avec ses premières croix de fonte moulées, d’un prix abordable et aussi par la reprise des carrières par Jean Jacob FRANCK, constructeur de moulins, lorrain de Meurthe-et-Moselle, qui arriva à Nozay en 1861 en adaptant des machines pour le sciage et le tournage, il fût suivi par un nantais, Aimé Julien MAURICE en 1868.
Le premier, sculpteur talentueux, décupla sa production pour la production, entre autres, de dizaines de milliers de «cubes» formant les entourages des portes et fenêtres, les arêtiers des maisonnettes pour les garde-barrières de la ligne de chemin de fer, alors en construction.
.Ces moellons furent désormais partout (nouvelles églises, maisons) et entrèrent aussi dans la construction des socles des croix.
Les maîtres-carriers eurent leurs heures de gloire entre 1870 et 1900 (les plus belles croix sont de cette époque). La première guerre mondiale stoppa la production qui reprit un peu après par l’édification de croix de reconnaissance de retour de guerre.
Mais toutes les possibilités qu’offrent désormais le ciment et le béton, à moindre coût, furent fatales à la pierre bleue, quelques unes furent encore taillées pendant la deuxième guerre, et en ce qui concerne Nozay, la dernière fût le Calvaire de Créviac (aussi de reconnaissance) Ce n’est que du Fréour, le top du top, excusez du peu (érigé à l’origine sur la route Nantes/Rennes, déplacé dans la propriété lors de la déviation de la ville..
Au plus fort des exploitations, les carrières employaient près de 200 personnes, ce qui est peu par rapport à tout ce qui en est sorti. Un accident mortel en 1891 (il y en eût peut-être d’autres). J’ai un immense respect pour ces tailleurs (souvent d’anciens ouvriers agricoles), Ils en ont sué et éreinté pour donner le meilleur à cette pierre. Rien que pour cela, ce petit patrimoine se doit d’être préservé.
José Teffo