4. SYMBOLISME
Croisement de la ligne d'horizon qui circonscrit le globe terrestre et du trait vertical qui monte au ciel, la croix est signe universel et immémorial.
"Tu comprends, disait Bernard, si tu veux laisser une marque quelque
part, tu traces une croix ... Pas un cercle, pas un triangle, pas un carré … une croix !"
Signe simple, il part du centre et y ramène.
S'y niche la symbolique des chiffres, le deux, le quatre ... et même le cinq, si
on ajoute le point de rencontre des lignes.
Signe primordial, le signe griffe l'écu de Lancelot à la quête du Graal. Signal, le signe conforte l'hésitant au carrefour. Croas-Rent breton, francisé en Croissant... qui
n'a rapport ni avec la lune, ni avec l'Islam.
Les branches pattées des croix antiques s'associent au cercle, au disque court, parfois aux deux comme à Plouasne au fût chargé d'entrelacs.
Rapport lointain avec les "croix
cerclées" d'Auvergne .. Rapport plus proche et néo-celtique, avec les croix d Irlande.
Le cercle sur la croix liaison cosmique du terrestre et du céleste. Par ailleurs, les anneaux ou les boutons sur les branches symbolisent les
évangélistes groupés autour du Maître.
Les croix du haut Moyen Age sont chargées d'angons, d'écus, d'épées, de haches à double fer … issus de l' arsenal guerrier. Mais il serait illusoire
de chercher en Bretagne les croix dissimulées, signes de reconnaissance mutuelle des premiers chrétiens.
Point n'était besoin pour des peuples évangélisés sans trop d'opposition, des substituts que furent les
oiseaux en vol, les tridents, les charrues, les ancres de marine ou les mâts barrés de leur vergue ...
Plus que tous les autres s'impose le symbolisme de l'orientation qui rejoint les coutumes funéraires de certains Celtes qui tournaient
leurs défunts vers le soleil couchant.
Ainsi, la croix s' occidente. Le Christ mourant regarde l'ouest, de même que le Golgotha était à l'ouest de la Ville.
Symbolisme fondamental et irréductible des couples
indissociables : nuit-jour, soir-matin, ténèbres-lumière, sommeil-éveil, mort-résurrection.
Symbolisme enrichi par le jeu de miroir des faces à faces. La position occidentée de la croix conduit celui
qui contemple le Dieu mourant , à se tourner vers le point où se lève le soleil.
Pour mieux comprendre, allez · à Kerbreudeur, voir les ultimes rayons du solstice d'été éclairer le fond de la niche
où le Christ vainqueur du tombeau, ressuscite, alors que sur sa croix il se tourne vers le soleil mourant.
6. CROIX DE CHEMIN ET DE CARREFOUR, DE MINIHY D EVECHES ET DE PAROISSES... '
Sur les chemins de temps qui ignoraient cartes et cadastres,
relais des bornes, romaines ou gauloises, les croix ont rythmé l'allure du marchand, le pas du pèlerin et celui du paysan.
* "Chevalier qui cherche aventure voici deux chemins !" Ainsi, à la fourche, "c'était un certain mardi
! " la croix rappelle aux compagnons perplexes l'importance du juste choix pour qui poursuit la Quête du Graal.
* La croix délimite le minihy, ces arpents accordés au moine, où s'exerçait le sacro-saint droit d'asile.
* A Gévezé qui dans les Cent Villages d'Aragon, rime avec Janzé il en est une de la fin du siècle dernier, marquant le point exact où se joignaient les anciens évêchés de Dol, de Rennes et de Saint-Malo.
. *Aux confins des paroisses elles-mêmes, les croix sont fréquentes. La carte établie par Jean Gourbi! dans Vieilles Croix du Pays de Dinan est significative d'une enquête qui pourrait s'étendre.
… Et Henvic
d’inscrire son nom sur la croix de Kermeur pour rappeler son individualité face à Taulé dont elle est un démembrement.
On les voit partout les Croix-des-Trois Curés, les Croas-an-Tri-Persoun de Basse Bretagne!
* Croix des troménies. Jalonnant les troménies,. ces itinéraires où l'on accomplit le tour du domaine des fondateurs, certaines sont immémoriales. A Gouesnou on connaît la rare croix à entrelacs de Saint-Thudon,
où venaient s'incliner les bannières de Guipavas, la voisine.
Certains monuments ont été plantés en notre siècle sur le parcours de la troménie de Locronan.
Ici, en revanche chacun sait qu'il serait
sacrilège de se signer à la croix de Kében, tombeau légendaire de la mégère qu'affronta saint Ronan.
- Croix des fontaines. La croix s'associe souvent aux fontaines où la présence de stèles
antiques n'est pas rare.
Elle couronne le toit en bâtière protecteur du bassin sacré.
Il lui arrive de devenir véritable calvaire à Cléguérec et à Coatnan d'Irvillac, où Roland
Doré combine de manière subtile en un beau monument et la fontaine et le calvaire sans qu'on puisse les dissocier l'un de l'autre.
8. MARQUES PARLANTES : CALICES, ARMOIRIES, EMBLEMES DE MÉTIER
Question primordiale avec celle
du pourquoi. Le déchiffrage malaisé des inscriptions et des marques altérées permet dans les meilleurs cas, d'esquisser un début de réponse.
Jean Le Blanc et sa femme font une croix à Billé, Charles
Le Guoff et Liesse Floch, CroasKerabri à Lothey, I. Caro et consorts Croas-Beus, la Croix-au-Buis, à Saint-Thégonnec,
Outre ces humbles sans qualification précise, se reconnaissent le clerc, le seigneur, l'homme de métier,
grâce aux signes gravés sur le socle, le noeud ou l'extrémité des branches.
L'écu au calice et au livre, assorti d'initiales ou du nom en entier, signale le prêtre tel Yves Bélérit de Loqueffret
qui érige, entre 1625 et 1647, quatre calvaires, aidé, pour les premiers, de son frère Louis.
Les armoiries rappellent la mouvance du seigneur et l'extension du fief.
Montant, jadis, vers la foire de La Martyre, au niveau
de Pesmarc'h, le paysan qui hochait la tête vers le Christ, voyait le blason aux neuf mâcles des Rohan.
Et au calvaire de Locmaria-Lan à Plabennec les mêmes neuf mâcles s'étalent orgueilleusement en supériorité
au dessus du titulus divin.
L'armorial breton des croix ne manque pas d'être copieux, quand on songe au cent cinquante écus relevés dans l'Atlas des Croix et Calvaires du Finistère.
Les emblèmes de métier
sont fort divers. Laie du tailleur de pierres tendres au Pâtis de Beignon. Equerre et massette de Toinas et Conci, sculpteurs ultramontains venus travailler le kersanton pour Plouguerneau. Enclume et marteau du forgeur d'épée au temps de
la Bretagne des Ducs à Saint-Coulitz. Forces du tondeur, navette du tisserand, hache du défricheur, doloire du constructeur de navires, marteau et tenailles du maréchal-ferrant, et quatre de chiffre du marchand …
Rappelons que le quatre de chiffre, marque du trafiquant chrétien, qu'il soit de Bretagne ou d'ailleurs, est issu du signe de la croix que l'on trace sur sa propre poitrine.
Quant à la représentation des donateurs eux-mêmes,
à l'inverse de ce qui se voit aux vitraux des églises, elle est rarissime au pied d'un calvaire.
N'en est que plus remarquable le portrait du cardinal Alain de Coëtivy, au Folgoët, à cent lieues, dans sa modestie, du superbe
gisant de marbre de son mausolée romain à Sainte-Praxède.
11. LA STELE ET LA CROIX
Qu'elles émanassent des autorités religieuses ou civiles, les inJonctions destinées à faire disparaître
des champs les simulacres qui y sont dressés, ont toujours eu du mal à passer dans les faits.
Il faut entendre par simulacres les menhirs, les stèles basses ovoïdes, les stèles épannelées, vestiges de religions
antérieures.
Et l'on répondra à ceux qui dénoncent un ostracisme peu évangélique, que l'exploitation des mégalithes, pour fournir de la pierre à bâtir, et celle des tumulus pour bourrer de
cailloux la chaussée, ont fait autant et plus de tort que la fulmination fanatique du clerc.
Ne pas oublier que plus d'une pierre païenne, restée d'ailleurs objet de pratiques ou syncrétistes persistantes, n'a été
sauvée que par sa christianisation.
Dans l'enclos de Loctinidic, à Cast, envahi par la végétation, le menhir et la croix désormais mutilée, s'alignent sur le point du coucher du soleil du solstice hiémal,
autour du 23 décembre.
Faisant, apparemment bon ménage, ici du moins, le Signe n'a pris aucune revanche sur le mégalithe ! La seconde Vie de saint Samson, VIIe Siècle, montre le mOI,le traçant du doigt comme dans une
cire molle, l’image de la sainte croix sur une grande pierre, au lieu même où se célébrait un culte ancestral.
Ces stèles christianisées et plus indiquent donc implicitement aux druides de tous âges
qui les a sauvées.
Ceci amène à se demander si les premières de nos croix ne sont pas à chercher parmi celles qui furent gravées sur les stèles.
A évoquer aussi le débat des spécialistes
sur l' ancienneté de nos monuments.
Un débat d'autant plus hasardeux que les repères chronologiques sont insaisissables dans un domaine où tout, ou presque, est anépigraphe.
La division entre croix carolingiennes
et mérovingiennes, trop précise, ne semble pas devoir être retenue.
Mais, d'autre part, ne rien dater d'avant le XIIe siècle, en liant l' apparition des premiers monuments du genre au mouvement des Croisades, semble bien restrictif.
Un acte du cartulaire de Redon, du 1er juin 843, cite des croix comme bornes de terroirs.
Si l'acte ne dit rien de leur forme, il laisse au moins à penser qu'aussi simple fût-il, le signe chrétien faisait partie du paysage armoricain
d'avant les invasions normandes.
Reste donc acceptable, pour les très anciens monuments, la distinction, qu'il n'est pas opportun de rendre trop rigoureuse, entre croix du Moyen Age et croix du haut Moyen Age, avec l'an mil comme butte-témoin.
12. CROIX DE BOIS, CROIX DE FER ...
"Lancelot s'enfonça dans les bois et le soir le surprit à la fourche de deux chemins dont une croix de bois marquait le carrefour ... " Faciles à extraire du chêne de la forêt hercynienne,
faciles à planter, faciles à remplacer, les croix de bois furent jadis nombreuses en Bretagne bretonnante si l' on en juge par la permanence de certains noms.
Comment rendre compte autrement de Croas-Pren, qui veut dire croix charpentée
?
Les croix de bois se dressent encore nombreuses à la lisière des champs en pays gallo.
Sobres, faites de deux poutres équarries, fleurons biseautés ou en boules, une petite alvéole, aménagée
sur le pal à hauteur d'homme, abrite souvent une statuette de sainte Vierge.
Plus élaborées, il en est qui portent de grands christs de belle facture.
Tel, à Morlaix, celui qu'offrit la corporation des bouchers, la
tête protégée par une large calotte de plomb.
Tel, à Ouessant, celui, récemment restauré, dressé au bas du bourg de Lampaul, vers la descente du port.
Ces grands christs de bois, soumis aux épreuves
des intempéries, quand ils tombent, on ne les redresse pas.
Quelques-uns pourrissent à la croisée des routes, d'autant plus émouvants dans leur dériliction qu'ils se font de plus en plus rares.
Mais si, souvent,
les croix de pierre ont remplacé les croix de bois, s'est aussi produit le phénomène inverse.
Les fûts de pierre de Plougonven abattus à la Révolution, furent remplacés par des croix de bois, qui tinrent
bon pendant un siècle.
Il en fut de même à Plourin-LèsMorlaix où l'on projette de réunir et peut-être de remonter les pièces dispersées du calvaire de1630.
Moins fragiles sont les croix
de fer, dont, à en juger par les fleurons aux lis héraldiques fichés en bout de branches, certaines sont du XVIIIe siècle.
Forgées par des artisans locaux, Joseph Stany Gauthier situait le centre de leur production
à Savenay en Loire-Atlantique, un secteur où elles découpent nombreuses leurs élégants profils.
L'ornementation variée des croix de fer s'inspire de motifs religieux, l' ostensoir, le calice, le chandelier,
la croix, le coeur, auxquels s'ajoutent les Instruments de la Passion, tout cela combiné avec des rinceaux et des volutes.
On remarquera que le Christ, à cause de la difficulté d'exécution, n'y est que rarement représenté.
Les croix de fonte, plus récentes, se sentent de l’esthétique de l' ère industrielle. Croix moulées, stéréotypées, comme le sont d'ailleurs plus d'une croix artisanale, sur leurs branches les spirales
du lierre s'égayent de bouquets de marguerites.
13. CROIX DE SCHISTE, CROIX JUMELLES
De la Pointe Saint-Mathieu à Châteaubriant, les croix de schiste auxquelles les faciès particuliers des roches mères confèrent
des allures variées ponctuent la péninsule armoricaine.
De faible épaisseur, comme c'est souvent le cas, elles portent le nom de croix palis,
Débité en plaques de 3 à 20 cm d'épaisseur, le palis
a servi, naguère, à de multiples usages : clôture de champ, enclos de porcherie, cloison intérieure de logis, linteau de cheminée, paroi de bassin dans le candi (maison à buée) ou le lavoir, muret de fosse à
l'intérieur du moulin, dalle funéraire ...
Supportant mal la sculpture, la croix de schiste, rarement historiée, module son dessin en profils pattés, à redents, à branches aux larges chanfreins.
Habitués
à des monuments à une ou à trois croix, l'association de deux croix ne laisse pas de surprendre.
Mais disons d'emblée que la gémellité n'est pas une spécialité bretonne.
Si l'Aube, selon
Durand, le Massif central, selon Baudoin, la Galice, selon Alfonso Castelao, n'en possèdent pas en Anjou les croix jumelles ne sont pas rares qu'elles soient dressées ou qu'il n'en reste que les socles percés de deux cavités.
Les croix jumelles emmêlent leurs branches sur un cercle aux trèfles gothiques à Plougoumelen.
Ailleurs, elles se dressent côte à côte, entées sur un socle unique ou sur deux socles associés.
Le sens à donner à ces doubles croix n'a pas manqué d'ouvrir le champ des hypothèses.
Croix du Christ et du bon larron, croix de l' époux et de l' épouse, croix de l' assassin et de sa victime, croix de la
dualité fondamentale universelle, etc.
Laissant libre cours à tout cela, disons la réponse fort claire apportée par le monument que les gens de Saint-Guen désignent sous le nom des Deux-Croix.
L'une est ornée
d'une Vierge à l'enfant sculptée à la croisée des branches, l'autre porte un Christ en bas-relief du même style.
Association on ne peut plus claire de Marie et de Jésus.
Traduction du dogme fort orthodoxe
de la Femme co-rédemptrice, associée à l'oeuvre salvifique du Fils par le Sacrifice du Calvaire.
Crucifiant, pourrait-on dire, la Vierge, une telle proposition iconographique, si elle est faite pour frapper l'esprit populaire, n'a
pas dû manquer de faire froncer le sourcil à plus d'un théologien patenté. ·
Ajoutons au chapitre de la gémellité, les croix à double branche ou double traverse courte, au Verger à Caulnes,
au Chauchis à Plouasne, aux Mares à Saint-André-des-Eaux, à Pléhérel-Plage.
Et, doublement jumelles, les croix de La Noë en Calorguen, posées sur le même socle, chacune assortie d'une
double branche.
14. LA CROIX ET LE CALVAIRE
Confrontés à la question souvent posée de la distinction entre croix et calvaire, il n'est pas inutile, avant d'aller plus avant, d'essayer une clarification sémantique.
La distinction proposée se fonde sur le type de représentation et non sur la forme plus ou moins complexe du monument.
Nommons croix, tout autant la pierre nue que celle où figure le crucifié, avec, à la rigueur,
une seconde image sur le revers, saint patron de paroisse, Vierge à l'Enfant ou Vierge de Pitié.
Ceci admis, on ne distinguera pas, pour l'instant, le bloc planté en terre, calé par des cailloux, de la croix sur socle simple
ou qui se dresse sur des marches et même une base architecturée, monuments d'une certaine ampleur.
La catégorie des "croix" forme une forêt aux mille sujets.
Blocs à peine équarris aux bras ramassés
ou tordus en silhouettes fantomatiques des anciens âges.
Mais aussi fûts effilés, branches finement taillées, de section ronde ou octogonale, un modèle qui par sa simplicité a connu une grande fortune du Moyen
Age à nos jours.
En revanche, le calvaire, défini par le dictionnaire comme "monument commémorant la Passion, composé d'une ou plusieurs croix ... " comporte en plus du Christ, la représentation, au moins,
de la Vierge et de saint Jean.
Avec les trois personnages on a l'image, réduite certes, mais suffisante, de la scène rapportée par les évangélistes.
"Ils l' emmenèrent au lieu du Golgotha, ce qui signifie
lieu du Crâne" (Marc, 15, 22). Le mot Golgotha, hébreu ou syriaque, a été traduit en latin ecclésiastique par Calvarium, notre français Calvaire.
La présence de Jean et de la Vierge suffit donc à
distinguer la simple croix du calvaire, ce dernier serait-il dépouillé de toute architecture. On appelle aussi calvaire, le monument qui, même en l'absence de Jean et de la Vierge, adjoint à la croix du Christ celles des deux larrons
constituant, de fait, un Golgotha.
Quant à la distinction entre petit et grand calvaire, moins aisée à établir, elle dépendra du plus ou moins grand nombre de personnages qui gravitent autour des trois acteurs principaux,
quels qu'ils soient.
En fait, la liste des grands calvaires bretons n'excède pas la quinzaine de monuments.
Mais, ne l'oublions pas, l'usage local, aussi bien que le discours lié à l'étude des croix assouplit la rigueur
d'une distinction qu'il était utile et nécessaire de faire pour répondre à une question souvent posée, comme on l'a dit.
24. DOUZE GRANDS CALVAIRES DE 1450 À 1630
Douze, chiffre du zodiaque
et des apôtres, est une commodité arbitrairement adoptée. On pourrait ajouter Landrévarzec (Quilinen), ClédenPoher... et plusieurs autres.
1. Saint-Jean-Trolimon, Maître de Tronoën 1450.
Non loin de
l'anse de la Torche, les embruns ont érodé les groupes en granit, épargnant les pièces en kersanton, telle la Vierge accouchée aux seins nus de la Nativité et le Christ du sommet encadré d'anges aux calices.
2. Saint-Hernin, Kerbreudeur, Maître de Tronoën,
vers 1450. Sur un talus de la route de Carhaix, les bas-reliefs de la niche mystérieuse de Kerbreudeur illustrent en raccourci trois grands moments du mystère chrétien
: Adam et Eve chassés du paradis, le Baptême et la Résurrection du Christ.
3. Lanrivain, 1548, 1866,
1795 a été rude pour le calvaire que fit faire Henry Quéré en 1548. On reconnaît la main
d'Hernot dans la tête du Christ baptisé et celle du Pauvre dans le groupe de saint Yves, 1866.
4. Guehenno, 1550, Guillouic, 1853, abbés Jacquot et Laumaillé.
Les quatre grands prophètes qui flanquent la table
d'offrande, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel, dus aux abbés restaurateurs, apportent une note originale dans le thème traditionnel du calvaire.
5. Plougonven, 1554, Bastien et Henry Prigent 1~9.8, Larhante.c.
Au calvaire de Plougonven, se distinguent la main de velours de Bastien Prigent et le coup de burin incisif d'Henry, mais on ne sait quel lien de parenté liait les deux artistes.
6. Pleyben, 1555, Bastien et Henry Prigent ; 1650, Julien Ozanne
; 1738-1742.
Construit sur plan octogonal en 1555, déplacé fin XVIe siècle, lors de la construction de la grande tour, le calvaire se transforme en arc triomphal en 1742.
Les corbelets sous l'arche recevaient un plancher
de bois servant de table d'offrande couverte.
7. Briec, Saint-Venec, 1556.
De plan triangulaire, où granit, kersanton et grès arkosique se mêlent, SaintVenec étage ses apôtres aux phylactères gravés
des versets du Symbole.
8. Kergrist-Moëlou, 1578, G. Jézéquel.
Les anciennes cartes postales montrent l'escalier latéral qui fut établi en 1836.
En 1934, fut restitué au monument le plan octogonal
voulu par Jézéquel en 1578.
9. Guimiliau, 1581-1588.
Le grand calvaire de Guimiliau est issu d'un esprit peut-être touché par la Réforme. Néanmoins, du faire relâché, de certaines sculptures
se dégage un hiératisme étonnamment puissant.
10. Plougastel-Daoulas, 1602-1604.
En réponse au style débridé de Guimiliau, le Maître de Plougastel impose à ses personnages une attitude d'une
gravité retenue.
11. Saint-Thégonnec, 1610.
La frise unique sur le sobre massif rectangulaire met en valeur les trois croix. Composition des plus achevées malgré la
disposition malencontreuse de saint Jean et
de la Vierge ainsi que celle des cavaliers, inconscience des restaurations !
12. Senven-Lehart, vers 1630, Roland Doré.
Le grand sculpteur de Landerneau aurait sans doute ici donné plus dans le déploiement comme à
Plougonven, Guimiliau ou Plougastel.
Mais, inauguré deux siècles plus tôt à Tronoën, le temps des grands calvaires est définitivement clôt.
45. RELEVEMENTS
Heureusement, tournée
la page du vandalisme, s'ouvre celle des prises de conscience. Croix abattue, croix relevée !
L'examen des monuments fait la preuve de restaurations nombreuses.
Construit en 1544, le calvaire de Sainte-Marie-du-Ménez-Hom,
insulté par les soudards au temps de la Ligue, fut revu une première fois, vers 1630, par Roland Doré qui cisela une tête nouvelle pour la Pietà et fournit une statue neuve de Vierge à l'Enfant.
Plus récemment,
sur ce monument, sans savoir ce qui dut être fait, pendant trois siècles et plus, pour sa maintenance, en 1992, Pierre Floch cisèle de neuf le bon larron mis à mal par la chute d'une branche d'un hêtre de l'enclos.
Certes,
souvent avant que l'on ne répare, indifférentes les décennies s'écoulent.
On ne se doute pas combien furent lentes, après le Concordat de 1802, les restaurations consécutives au cataclysme de 1793.
L'idéologie
politique ne fut d'ailleurs pas étrangère au mouvement.
Le petit monument de Lanvoy, Hanvec, qui avait été construit en 1556, fut, comme le dit l'inscription, "rest(aur)é p(ou)r le baptême du duc de Bordeaux
p(a)r Mr de Quélen, en 1821", témoignage ambigu de la déferlante restauratrice.
Mais, ici, autant qu'au message lapidaire, on sera sensible à la conduite maladroite du travail. Les membres inférieurs du Christ de 1556,
brisé par le milieu, ont été surmontés d'un second tronc en provenance d'une croix doréenne mutilée, le tout couronné d'une tête taillée en 1960 !
Quoiqu'il en soit des motifs mêlés
qui inspirent les renouveaux, la fascination de la croix, exaltante et pure, existe.
Des jeunes gens s'arrêtent et débroussaillent la croix de chemin étouffée par la ronce envahissante.
D'autres, retour d'un pèlerinage,
dressent au bord de la mer occidentale, la pierre nouvellement taillée. Des municipalités réhabilitent les balises sacrées de leurs circuits de randonnées.
Des associations de retraités redressent le jalon de
l'enfance retrouvée. Des gens du quartier mettent leur point d'honneur à fleurir l'antique monument ...
A ceux-là, et aux autres, je dédie le livre.
Allons ! Des cent quarante monuments de Plouguerneau, aux cent vingt
de Bazouges-La Pérouze, le Tro-Breiz des quinze mille croix de Bretagne peut commencer.
ANNEXE · CHRONOLOGIE
Le légitime souci d'établir un "classement par générations ou par époques,
par ateliers et par artistes" selon l'expression de V. -H. Debidour, dans son avant-propos de "La sculpture bretonne" est une entreprise hasardeuse.
Qui dira où et par qui fut plantée la première croix de granite sur la terre armoricaine
? La seconde "Vie de saint Samson" évoque l'image de la sainte croix sur une grande pierre païenne tracée par l'homme de Dieu "comme dans une cire molle". Ainsi, pour l' époque reculée, la catégorie haut Moyen-Age, attribuée
à ce que l'on pense être d'avant l'an Mil, tout large qu'elle soit, demeure un choix d'élémentaire prudence qui exclut la catégorie de croix mérovingiennes et carolingiennes naguère retenue.
Les dates
inscrites ne se lisent guère avant le XVIe siècle. L'inscription du calvaire mutilé de Lesneut en Plozévet peut-elle se lire MIL: III:VI (1306) ? Rien n'est moins certain. En revanche, au cimetière de Scaër est bien
gravé : L'AN MIL
CCCC (1400). Aussi, dans l'incertitude, parler de croix "médiévale" sera, faute de mieux, utile, le Moyen-Age historien se situant du XIe siècle à la fin du XVe siècle.
Les inscriptions
du XVe siècle, ne sont guère plus nombreuses. Le petit calvaire de Saint-Gilles, fournit la précieuse inscription : EN L'AN MIL IIII CC ET NOF (1409) FIST : P : DE LAUNEY FAETE CESTE + A. ALAIN PITAUT.
Dater les sculptures de ce
siècle se fera par l'analyse des styles. Ainsi se reconnaissent les croix en granit dites du Maître de Tronoën naguère appelé atelier de Scaër.
Au XVe siècle se rattachent aussi un certain nombre de sculptures
dues à l'atelier du Folgoët, dont les croix se reconnaissent aux fleurons feuillagés parfois assortis d'un dais sommital.
Au début du XVIe siècle, éclot la formule du petit calvaire classique, avec ses fleurons-boules,
ses statues géminées, ses inscriptions nombreuses, 143 croix et calvaires datés pour le seul Finistère, un chiffre qui augmente légèrement pour le XVIIe siècle avec 156 dates.
La chute du XVIIIe siècle,
avec 53 croix datées en Finistère, n'en est que plus spectaculaire.
Au XIXe siècle, on assiste à une remontée spectaculaire avec 233 monuments datés, qu'il ne sera bientôt plus de bon ton de considérer
avec un mépris d'esthète pincé. Dans le lot, certains millésimes indiquent le relèvement de monuments blessés au temps de la Révolution.
Au XXe siècle, .aux croix de mission traditionnelles se
mêlent l'œuvre de sculpteurs contemporains, entre autres Jean Mingan, Guy Pavée, Jean Fréour.
On! le devine, l'affinage de la chronologie, loin d'être une concession au prurit statistique, ouvre l'étude qui
reste à faire concernant la sculpture sur pierre qui s'essaie à regrouper des œuvres sorties des mêmes ateliers.
Extraits tirés d’une Version pdf d'un exemplaire de la bibliothèque diocésaine de Quimper
de cet ouvrage de Yves Pascal Castel
« En Bretagne Croix et Calvaires »
Yves Pascal Castel 1997
Consultable sur : http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/c7ab1cc53d0ef299b5bb65ed3764d18c.pdf